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Les BRICS, le bal des illusionnistes



S'il y a besoin de trouver d'emblée un consensus, ce sera celui-ci: les BRICS ont émergé comme acteurs des grands enjeux mondiaux. Qu'il s'agisse des questions économiques, des conflits territoriaux ou des ressources stratégiques, ils sont régulièrement sous le feu des projecteurs. En se dotant d'arsenaux militaires imposants, tout en déployant parallèlement une diplomatie active, ces pays ont propulsé leur influence sur la scène géopolitique. Mais, ce qui fait véritablement des BRICS des acteurs importants, c'est l'évolution de leur PIB 1 et l'abondance en ressources extractives dont le monde a besoin pour nourrir sa croissance.  


Ce qui au départ n’était qu'un concept inventé en 2001 par un manager de la banque américaine Goldman Sachs, englobant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, a pris de l'ampleur. A en croire de nombreux observateurs, nous assistons à un rééquilibrage des pouvoirs à l'échelle mondiale. Bref, un bouleversement d'une envergure historique. Cette perception a trouvé écho dans les pays du sud, séduits par une vision flatteuse des BRICS, au point de soumettre des demandes d'adhésion, parfois avec une insistance proche de la supplication. 2



Le rêve du nouvel ordre mondial


Les pays formant les BRICS, originellement classés sous l'étiquette du "Sud global", faisant référence aux nations du Tiers-Monde sont désormais perçus comme les architectes du nouvel ordre mondial. Ils suscitent admiration, frustration et inquiétude chez les occidentaux, au moment où la locomotive qu'est l'Amérique se montre moins encline à se préoccuper de ses alliés.3  A l'inverse, pour les pays moins avancés, les BRICS sont plus qu'une simple alliance économique. Ils incarnent un modèle alternatif de développement et de coopération internationale, la fin de plusieurs siècles de domination occidentale. Mais, cet engouement prospère est tempéré par la réalité. Difficile, voire impossible de trouver des éléments convergant vers la naissance d'un nouveau pôle mondial. La ferveur pour les BRICS ne serait qu'un emballement propulsé par ceux ayant intérêt à l'entretenir: la presse se délecte de ces récits pour générer des gros titres, les cabinets de conseil espèrent séduire leurs clients fortunés en leur présentant de nouvelles opportunités d'investissement, tandis que les individus animés par une quête d'un monde différent, guidés par l'idéologie ou l'émotion, aspirent à croire que cette fois-ci, l'heure est venue.



Tout d'abord, un léger retour en arrière, rappelle que l'histoire est jalonnée d'exemples où le basculement du monde était annoncé comme un avènement inévitable. En 1956, Nikita Khrouchtchev 4 affirmait que le communisme sonnerait le glas du capitalisme. Or, l'histoire a suivi un cours bien différent. Dans les années qui ont suivi, le Japon était prophétisé comme devant surpasser l'économie américaine, 5 mais cette anticipation ne s'est pas concrétisée. Le Japon n'a pas réussi à dépasser les performances économiques qu'il avait enregistrées dans les années 90. Au début des années 2000, la Chine était à son tour pressentie comme la future première puissance économique mondiale. Bien qu'elle ait connu une croissance spectaculaire, elle n'a pas réussi à rattraper l'Amérique. Sur la base des données disponibles, il est peu probable que cela se produise. 6 Dans une perspective différente, l'Afrique a également été maintes fois présentée comme un futur géant économique. Tout cela souligne le bien fondé d'une approche analytique rigoureuse et d'une exigence intellectuelle pour se forger une opinion sur les BRICS. Cela est d'autant plus crucial que tant leur comportement que leurs statistiques laissent planer des doutes sur le portrait flatteur qui prédomine.



Le mirage économique des BRICS 


Les éloges qu'entonnent les médias reposent principalement sur la progression du PIB, érigé en boussole - et comparativement à celui des anciennes puissances coloniales. 7 Or le PIB n'est qu'une facette limitée de la richesse d'une nation, cet indicateur ne saurait refléter la véritable santé économique, la richesse de la population globale, ni le bien-être, et encore moins les exploits futurs. La Chine qui est le pays le plus riche parmi les membres des BRICS, au terme d'un progrès économique sans commune mesure dans le monde, occupe le deuxième rang derrière les USA pour un PIB avoisinant 19000 milliards de dollars. Mais, le PIB chinois s'accompagne d'une situation plus contrastée: la population de 1,400 millions d'habitants, compte encore selon la Banque mondiale, plus de 273 millions de personnes vivant dans l'extrême pauvreté. De plus, si on s'appuie sur les données du FMI publiées en 2021, le PIB nominal par habitant classe la Chine au 72 ème rang mondial, derrière une longue liste de pays pauvres.8



Ajoutons aussi que ce qui a contribué au succès économique de la Chine semble lui échapper, ses exportations fléchissent, pris dans l'étau de l'effet conjugué du ralentissement de la croissance mondiale, les impératifs écologiques et le nationalisme économique entraînant de nombreux pays vers la réindustrialisation. A l'intérieur des ses frontières, la consommation ne s'est pas remise du Covid, ni le marché de l'emploi où le chômage des jeunes bat des records, suggérant au gouvernement de mettre fin à la publication des chiffres.L'avenir s'assombrit davantage avec le vieillissement de la population et un déclin démographique qui, selon plusieurs analystes, promettent de dégrader durablement l'économie chinoise ainsi que ses finances publiques. L'érosion démographique qui avait été envisagée plus tard est arrivée en avance en 2022, et pour l'Académie des sciences sociales de Shanghai, d'ici à 2100, la population chinoise va s'effondrer de moitié.



En insistant sur le PIB des adhérents à ce club de pays dits émergents, il y a l'Inde, présentée elle aussi comme puissance capable de rivaliser avec la Chine, puis l'Amérique dans les années à venir. Depuis quelques années maintenant, son PIB équivalant à 3100 milliards de dollars, se place devant celui de la France et de Royaume Uni  - son ancien colonisateur, et en 2023 elle a dépassé la Chine en nombre d'habitants pour devenir le pays le plus peuplé au monde. Deux tiers de ses habitants vivent encore sous le seuil de pauvreté, tandis que la crise du Covid, et les effets du changement climatique, ont effacé les gains obtenus au cours des 10 années précédentes dans la lutte contre la pauvreté. 10 Il reste le Brésil qui connaît une croissance très faible pour ne pas dire nulle, la Russie engluée dans son agression contre l'Ukraine, et l'Afrique du Sud, plombée par une économie dévastée et un chômage record, à cause des coupures d'électricité. 11 Ces pays représentent 3,27 milliards de personnes, pour un PIB global inférieur à celui de l'Amérique toute seule, avec 339 millions d'habitants. Déjà, à ce stade, avec peu de risque de se tromper, on peut conclure que les BRICS dominent démographiquement mais que, l'Occident moins peuplé pèse économiquement plus, avec pas moins de 50% du PIB mondial.



L'hégémonie des occidentaux se distinguent également à travers les modèles de croissance, bâtis sur un réseau complexe d'accords et de partenariats. L'objectif dépasse largement la simple fluidification des échanges commerciaux. Les moyens de coopération s'étendent bien au-delà, englobant les normes scientifiques, les études universitaires, la diffusion de la langue et la facilitation de la mobilité des individus, notamment à travers des exemptions de visas. Or, pour un bloc qui se veut ambitieux, rien de tout cela n'est initié dans l'agenda prioritaire des BRICS, et l'on peut être sceptique quant à leur implémentation plus tard, tant la compétition, les rivalités et les différences de cultures sont profondément ancrées. Par exemple, la Chine visant à internationaliser sa monnaie, 12 souhaite qu'elle soit adoptée comme devise d'échange par les BRICS, mais son rêve se heurte aux réticences de l'Inde, du Brésil et de l'Afrique du Sud, ces nations craignant de devoir sacrifier leurs propres intérêts en faveur de la suprématie du yuan chinois.



Une belle façade pour une désunion  


Le cas de l'Inde propose une illustration intéressante. Elle se distingue avec une série de contradictions et de désaccords, vis à vis de la Chine notamment, avec qui elle dispute le leadership parmi les BRICS, mais aussi sur l'échiquier mondial: les deux pays s'affrontent militairement depuis des décennies pour une dispute frontalière dans l'Himalaya. 13 Les divergences entre les deux pays s'inscrivent également dans le projet de l'Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) de créer un accord régional asiatique de libre-échange qui couvrirait la moitié de la population mondiale. Le premier ministre indien s'y oppose, craignant de voir son pays inondé de produits chinois à bas prix, comme les téléphones portables, tout en voulant une place dans l'accord pour les services, où l’Inde occupe une position avantageuse.


Rappelons au passage l'Inde est signataire de plusieurs accords de coopérations, économiques, technologiques et militaires avec les Etats-Unis, parmi lesquels on peut citer, le Basic Exchange and Cooperation Agreement (BECA) pour un échange direct d’informations satellites et topographiques entre les armées indiennes et américaines, le COMCASA (Communications Compatibility and Security Agreement), 14 ou récemment, la signature d'un protocole d’accord pour les semi-conducteurs, visant à sécuriser la chaîne logistique des puces et donc à isoler la Chine.



Toutefois, ces alliances sous fond de compétition ne doivent pas faire oublier que le rang des pays ne dépend pas que des calculs et des intérêts matériels. Au-delà même des raisons économiques, technologiques et militaires, subsistent la culture et les valeurs, qui bien que rarement évoquées sont prépondérantes. L'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud sont des démocraties, à l'opposé de la Chine et de la Russie. En 2024, ils seront rejoints par l'Arabie Saoudite, l'Iran, les Emirats arabes unis, l'Ethiopie, l'Egypte, ainsi que l'Argentine. Qui pourrait sérieusement imaginer un attelage aussi hétéroclite fonctionner harmonieusement ? Ces pays semblent surtout liés par le besoin impérieux d'exister et celui de défier l'Occident, que l'exaltation pour un projet commun promouvant le bien de tous.


Lors du G20, l'Inde s'est engagée avec l'Union européenne, pour un corridor poussé par les USA. 15 Il a pour but de fluidifier le flux des marchandises, en passant entre autres par les Emirats, l'Arabie Saoudite, créant ainsi une alternative aux routes de la soie au grand dam de la Chine. Quant à l'Arabie Saoudite, elle est accusée d'avoir tué à plusieurs reprises, des centaines de migrants provenant d'Ethiopie qui tentaient de franchir ses frontières - deux pays fraîchement admis parmi les BRICS. 16 De même, dans un contexte de crise alimentaire et d'inflation, en dépit des grands discours de communication sur l'amitié russo-africaine, dans son chantage pour le blé, la Russie n'a pas jugé utile d'accorder un traitement de faveur, aux pays d'Afrique faisant partie de son bloc. Elle s'est plutôt servie des céréales qu'elle a vendu au compte goutte en faisant passer cela pour de la générosité. L'Inde aussi avec le riz, lorsqu'elle interdit par précaution les exportations, ne propose rien pour ses partenaires africains quand cette denrée devient rare en Afrique et hors de prix.



Une utopie qui arrive très tard


En raison du retentissement médiatique et de sa portée dans de hautes sphères, l'enthousiasme pour les BRICS nr se dément pas, mais il ne résiste que si les réalités dans lesquelles évoluent les parties prenantes sont occultées. Et, il ne serait pas déraisonnable de parler de lubie passagère pour qualifier le phénomène actuel. Car, tous ces pays devant symboliser le nouvel idéal mondial, manquent totalement de crédibilité, sur des domaines pourtant essentiels. En prétendant apporter des solutions aux problèmes du monde, ils ne parlent pas de leurs échecs à les enrayer dans leur propre pays confrontés à la pauvreté, l'illettrisme, la violence, les conflits, la corruption, et la xénophobie. Par ailleurs, ils adorent pointer les pays occidentaux en jurant de faire autrement, alors que certains parmi eux sont aussi coupables au-delà de leurs frontières, de faits tels que, la "colonisation", les pillages de richesse, la déstabilisation des Etats étrangers, les ingérences et trafics en tout genre. 

En outre, leur désir de puissance ne dépasse toujours pas le défi que posent aux pays du nord, avec les migrations qui continuent d'affluer dans un sens, ni celui de la gestion mondiale des crises encore toutes fraîches: la lutte contre le Covid fut une gestion occidentale réussie entre la production de vaccins et la solidarité nationale comme internationale. Et, dans les pays pauvres, les ravages sur l'économie ont été plus ou moins limités par des actions coordonnées impliquant les grandes institutions. Quand il fallait apporter des financements d'urgence et instaurer une pause sur les remboursements de prêts, 17 cela se négociait surtout en Europe et aux Etats-Unis. 


A part le rapprochement entre l'Iran et l'Arabie Saoudite où la Chine s'est engagée dans la médiation, 18 tout ce qu'on peut retenir des BRICS se résume par de grandes annonces au milieu de quelques anecdotes. Plusieurs événements mondiaux avaient valeur de test, et par un sort différent, auraient pu valider de nombreuses assertions sur la montée en puissance des BRICS. Le premier constat à l'appui des faits, ne confirme aucunement l'existence d'une menace crédible pour le leadership occidental. Et c'est dommage car, il y a grandement besoin d'un contrepoids sur les dossiers internationaux et d'une impulsion nouvelle afin de délivrer les pays pauvres d'un cycle interminable de performances médiocres. Avec en arrière plan, toutes ces catastrophes humaines provoquées par les guerres injustifiées et la pauvreté, on peut regretter qu'une idée comme celle des BRICS n'ait non seulement pas émergée plus tôt, mais qu'en plus au moment où elle se dessine, apparaisse déjà aux premières lueurs comme "mort-née".

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